J’ai rencontré Elina en aout 2020 lors d’un festival que j’organisais avec le collectif EVI. Elina travaillait alors sur la traduction de textes écrits par des femmes qui luttent et œuvrent pour la liberté et pour la vie en Amérique du Sud. Son souhait était de les réunir dans un livre et de pouvoir les diffuser en France. Deux ans plus tard, « Vivantes. Des femmes qui luttent en Amérique Latine » voit le jour.
Présentation de l’autrice
Elina Fonty est une autrice de 26 ans qui vit depuis quelques années entre le Mexique et l’Europe. Ses voyages à travers le continent sud américain et les rencontres qu’elle y a faites ont participé à développer sa manière de penser le monde. Et c’est dans un but de découverte et de transmission qu’elle s’est lancée dans ce projet de livre qui traite de féminisme et d’écologie. Nous pouvons donc parler d’écoféminisme, bien que la notion soit trop étroite pour décrire l’ampleur ce que nous trouvons dans cet ouvrage.
Qu’est-ce que l’écoféminisme?
Tout d’abord, il est important de préciser que les textes traduits ne se referrent pas forcément de ce courant de pensée. Cependant, les thématiques abordées sont si diverses que nous pouvons les réunir derrière cette notion. Alors qu’est-ce que l’écoféminisme?
Le terme « écoféminisme » que nous devons à François d’Eaubonne fait un pont entre écologie et féminisme, en affirmant que la domination des hommes sur les femmes et le saccage de la nature sont les fruits d’une même matrice idéologique. Un premier courant de l’écoféminisme met en lumière les rapports d’appropriation, d’oppression et de destruction qui organisent le monde actuel, affectant d’une façon ou d’une autre tous les territoires et tous les corps. Un autre courant écoféministe s’intéresse principalement à la culture du soin comme source centrale d’inspiration pour penser une société durable, grâce à des valeurs telles que la réciprocité, la coopération et la complémentarité. Nous retrouvons ces deux courants dans cet ouvrage.
Pour Elina, l’écoféminisme doit être décolonial. Nous ne pouvons pas penser les questions environnementales et féministes uniquement selon le prisme du Nord et nous ne pouvons ignorer les conséquences de la colonisation sur notre manière de lire le monde. C’est pourquoi l’écoféminisme se doit aussi d’être pluriel. Il sert à transmettre des réflexions, formes de lutte, façons de vivre le monde … qui s’inscrivent dans un contexte donné. Cette pluralité a donc vocation à transmettre des idées, des philosophies, mais aussi et surtout des propositions, des façons de faire qui remettent la vie au centre. C’est dans cette perspective que s’inscrit ce livre.
Pourquoi ce livre?
En vivant au Mexique, Elina a eu accès à des ressources, littéraires (et plus encore), auxquelles nous n’avons pas accès en France. Elle s’est rendue compte que les mouvements féministes français auraient beaucoup à apprendre des mouvements féministes d’autres territoires.
« Nous avons tant à apprendre d’autres réalités que celle que nous vivons en Europe, d’autres façons de comprendre le monde, de le concevoir, de le nommer, d’autres façons de le vivre, ainsi que d’autres rapports à la lutte, à l’action. […]Donc mon point de départ, c’est le sentiment profond de « vide à combler » quant à la richesse et la pluralité des féminismes qui habitent le continent, et qui sont pour moi source d’inspiration pour nos propres réflexions situées, notamment parce que, loin de se borner à un domaine théorique, ils portent en eux des systèmes de penser, de sentir et d’agir qui nous obligent à reconsidérer les nôtres. »
Elina Fonty, Novembre 2022
Lors de notre entretien, elle m’a dit « On ne déconstruit pas la maison du maitre avec les outils qui l’ont construite ». Il s’agit d’une citation de l’essayiste queer afro-américaine Audre Lodre dans son livre Sister Outsider très souvent reprise dans les textes écoféministes qui rappelle qu’il est nécessaire d’être vigilante dans le vocabulaire qu’on emploie dans nos luttes.
Ce livre est donc l’occasion de revenir sur la manière dont on nomme les choses, et donc sur la manière dont on agit sur elles. Par exemple, le mot « nature » n’est pas traduisible dans toutes les langues car les langues ne comprennent pas que l’humain se distingue de la nature. Nous sommes donc invitées à réfléchir à la place que nous prenons dans notre environnement, et sentir que nous sommes liées à cette nature que nous sommes pourtant en train de détruire. Il s’agit donc de se réapproprier la manière dont on s’inscrit dans nos corps et dans nos territoires. Et c’est en quoi ce livre est si rafraichissant. Il présente les choses différemment, ce qui est porteur d’espoir pour les défis auxquels nous faisons face.
Pourquoi ce titre: « Vivantes. Des femmes qui luttent en Amérique du Sud »?
Elina souhaitait à l’origine que son livre s’intitule « tejernos en viva » afin de diffuser cette idée de « tisser du vivant ». Mais ce titre est difficilement traduisible en français. Avec son titre « Vivantes. Des femmes qui luttent en Amérique Latine », elle honore la vie que l’écoféminisme met au centre de sa réflexion. Elle clame également que nous sommes vivantes en réponse aux féminicides, aux disparitions et à la peur que les femmes subissent dans les sociétés patriarcales. C’est également un hommage au « Vivas nos queremos », un mouvement féministe et artistique d’Amérique du Sud, qui dénonce les violences faites aux femmes et aux filles. Avec ce titre, elle « inclue toutes les vies qui forme la Vie avec un grand V ».
Nous trouvons dans le livre des photos et des illustrations qui illustrent parfaitement ce titre.
Un livre en trois parties
Ce livre se compose en trois parties traitant chacune d’un sujet spécifique.
La première partie revient sur la nécessité de penser le féminisme au-delà des frontières. On ne parle pas ici seulement des frontières nationales, mais aussi des frontières dans le langage. La deuxième partie s’intéresse à la notion de corps-territoire et toutes les considérations et formes de luttes qu’elle soulève. Enfin, la troisième et dernière partie de ce recueil traite d’avantage du sujet à travers le prisme de la spiritualité. On y parle de soin, de la réappropriation des savoirs féminins et de la reconsidération du sacré.
« Trois domaines que le capitalisme patriarcal s’est appliqué à déprécier et à opprimer. Parce qu’il est important de nous rappeler d’œuvrer pour la réappropriation de ce qui a été dévalorisé, discrédité, désacralisé ».
Elina, Novembre 2022
Grâce à ces différentes parties, Elina propose une grande diversité dans les textes traduits. S’il y a des écrits scientifiques, on peut aussi lire des poèmes, des chants, des déclarations de grève, des lettres ouvertes. Elina casse ainsi les perspectives académiques en y incluant des textes artistiques et engagées, ce qui rend la lecture justement vivante.
Mon avis sur le livre
J’ai pris énormément de plaisir à lire le livre d’Elina qui m’a fait passer par de nombreuses émotions. J’ai ressenti beaucoup de tristesse et de colère mais aussi beaucoup de douceur et de force. Ce livre nous présente une nouvelle manière de voir le monde qui fait du bien.
« Vivantes » réunit des écrits d’autrices différentes mais tous traduits par Elina. Pourtant, chaque texte garde son tempo et son univers. La lecture est fluide tout en respectant les différents styles des femmes derrières ces textes, ce qui témoigne de la qualité du travail de traduction qui a été fait.
Le livre présente également un bel équilibre non seulement entre les différentes parties, mais également entre les textes académiques, engagés et artistiques. La dernière partie, tout comme les poèmes et les chants qui s’immiscent entre des textes parfois très durs, apportent de la douceur à cet ouvrage sans pour autant ne pas décrire ce qui est sombre et terrible.
Elina a parfaitement mis en lumière les textes et les idées qu’elle voulait transmettre. Mon souhait pour la suite est qu’elle puisse apparaitre d’avantage dans ce qu’elle écrit. Si c’était à refaire, elle inclurait d’avantage un trame narrative où elle aurait eu l’occasion de s’exprimer sur chacune des parties de son ouvrage. Je regrette effectivement qu’elle n’apparaisse pas d’avantage entre les pages. Mais ce n’est pas son but dans ce livre, qui remplit formidablement bien sa fonction de nous faire découvrir les luttes féministes et écologistes d’une nouvelle manière.
Je recommande donc vivement la lecture de ce livre engagé et inspirant.
Trouver le livre d’Elina, « Vivantes! Des femmes qui luttent en Amérique Latine » aux éditions dehors ici.
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